Comment analyser l’article 140 du Code Général des Collectivités Locales (CGCL) dans la révocation du maire de la ville de Dakar ? Réponse d’un enseignant à son étudiant !


Un de mes maîtres m’avait dit ceci en tant que jeune doctorant en 2010 « Interpréter un texte de droit, c’est l’exercice le plus beau et le plus noble pour un juriste mais il reste aussi le plus périlleux pour celui-ci car même les plus expérimentés peuvent y succomber ».

Cher étudiant, le texte pour lequel vous avez sollicité une analyse juridique est issu de la loi n°2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code Général des Collectivités locales. Cette loi porte ce que l’on appelle communément : Acte III de la décentralisation. Elle a apporté de grandes innovations et a beaucoup fait évoluer le droit sénégalais des collectivités locales.

Le fait le plus marquant dans l’article 140 du CGCL lorsqu’il est abordé, c’est l’énumération des faits qui sont susceptibles de constituer des fautes pouvant justifier des sanctions administratives contre un maire ou un conseiller municipal. Ces fautes sont en général des délits. Bien avant cet inventaire, l’article 140 alinéa 1 précise qu’il est possible d’appliquer les dispositions de l’article 135 du CGCL avec l’utilisation de l’expression « Peuvent entraîner l’application des dispositions de l’article 135 » à la liste non exhaustive des fautes qu’il a listées. Il en résulte que ces dispositions demeurent applicables lorsque l’autorité administrative souhaite la révocation ou la suspension (les deux types retenues par l’article 135) du maire ou d’un conseiller qui est pénalement condamné sur la base des fautes visées à l’article 140 alinéa 1.

Le dernier alinéa de l’article 140 quant à lui dispose que dans « les sept premiers cas, la sanction administrative ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires ». Il en ressort deux lectures. La première offre la possibilité de poursuites judiciaires en dépit de la prise de sanctions disciplinaires. La seconde donne la possibilité de prendre des sanctions administratives en dehors de toute poursuite judiciaire. Cette dernière lecture mérite des précisions. En fait, à travers l’article 140 in fine, le législateur offre la possibilité de sanctionner administrativement un maire ou un conseiller ayant commis l’une des sept premières fautes retenues dans le premier alinéa de l’article. Mais, il demeure incontestable que l’article 140 in fine n’a pas listé les sanctions administratives qu’il faudra mettre en œuvre si les faits prévus au premier alinéa venaient à se produire. Le terme employé est générique. Alors, on peut naïvement croire que le texte vise toutes sortes de sanctions disciplinaires. En réalité, ce n’est pas le cas. Au fait, l’article 140 in fine offre la possibilité de sanctionner autrement le maire ou le conseiller sans que l’on ait besoin de le suspendre ou de le révoquer. En fait, ces deux formes de sanctions demeurent celles qui sont retenues par l’article 135 et visées par l’article 140 alinéa 1. À ce sujet, l’écriture de l’article nous permet de le dire sans crainte : « Sans que la liste soit limitative, les fautes énumérées ci-dessous peuvent entraîner l’application des dispositions de l’article 135 du présent code (…) ».

Ainsi, à première vue, ces deux alinéas peuvent paraître inconciliables. En y regardant de plus près, l’on se rendra compte qu’ils sont en parfaite harmonie même s’ils n’ont pas la même vocation et ne jouent pas la même fonction dans la prise de sanctions administratives contre un maire ou conseiller fautif ou soupçonné de fautes.

Au fait, le premier alinéa de l’article 140 permet de sanctionner par la révocation ou la suspension les faits qu’il a prévus et ce dans les conditions retenues à l’article 135, à savoir une condamnation au pénal et un décret pour la révocation ou un arrêté pour la suspension. Concrètement, la décision de révocation ou de suspension doit avoir pour support une décision de justice condamnant le maire ou le conseiller. L’article 135 visé par l’article 140 alinéa 1 du CGCL est le fruit d’une évolution ou même d’une révolution intervenue en matière de révocation ou de suspension d’un maire ou d’un conseiller.

Depuis 2013, l’article 135 du CGCL ancien article 141 du code des collectivités locales de 1996 lie le décret de révocation ou l’arrêté de suspension à une condamnation pénale, mais définitive. C’est pour réellement prendre en compte cette nouvelle philosophie prônée dans le nouveau code que l’article 140 al.1 fait référence à l’article 135 CGCL.

Cette évolution ou révolution de 2013 consacrée par l’article 135 CGCL qui est visé par l’article 140 alinéa 1 a pour objectif d’opérer une rupture d’avec les anciennes pratiques en matière de révocation. Il s’agit d’offrir plus de garanties au maire en situation de révocation pour la stabilité politique et managériale de la collectivité locale. Cela va aussi dans le sens de renforcer le principe de la libre administration des collectivités locales constitutionnellement garanti.

Par le passé, les révocations de maires frisées l’arbitraire du temps de Senghor, de Diouf et de Wade. Cette phobie du passé se ressent même dans l’écriture de l’article 135 visé par l’article 140 alinéa 1 CGCL. Au Sénégal, dans la révocation du maire, depuis 2013, on a dépassé l’exigence d’une matérialité des faits comme en droit français pour être dans l’exigence d’une véracité des faits reprochés au maire en instance de révocation. Et cette véracité ne peut être établie que par une décision pénale de condamnation définitive.

Ainsi, le fait de prendre un décret sans prendre en compte cela le rend illégal, car les deux procédures sont, à cet effet, dépendantes. C’est le cas pour le décret de révocation du maire de Dakar qui a visé dans ses motivations deux décisions de justice qui ne sont pas encore définitives.

Par ailleurs, le dernier alinéa permet à l’administration par rapport à certains de ces faits (au nombre de sept) visés à l’alinéa 1 de l’article 140 de sanctionner en retenant d’autres sanctions administratives. Dans ce cas, elle n’a pas besoin d’attendre une décision de justice de condamnation de justice au pénal pour prendre des sanctions administratives autres que la révocation ou la suspension. La prise de ces mesures autres que celles évoquées ci-dessus (suspension et révocation) n’interdit pas des poursuites judiciaires. D’ailleurs, une fois que ces poursuites conduiront à la condamnation du maire ou du conseiller, l’Administration pourra se baser sur cet acte juridictionnel pour passer à des sanctions beaucoup plus lourdes, à savoir la révocation ou la suspension du maire ou du conseiller.

Il est donc clair qu’aucun décret de révocation ou un arrêté de suspension ne saurait être pris sur la base de ce dernier alinéa qui ne vise aucunement l’article 135 CGCL qui consacre la suspension ou la révocation comme sanctions administratives pour un maire ou un conseiller ayant commis un crime ou certains délits et qui a été définitivement condamné. Fonder la légalité du décret de révocation du maire de Dakar sur le dernier alinéa de l’article 140 alinéa 1 relève d’une grave erreur d’appréciation ou d’une mauvaise compréhension doublée d’un manque de rigueur scientifique dans l’interprétation du texte en question. En outre, en raison de l’évolution ou de la révolution opérée par le Code général des collectivités locales de 2013 comme nous l’avons rappelé ci-dessus et dans nos précédentes contributions, cette mauvaise interprétation cadre beaucoup plus avec l’ancien article 141 de la défunte loi n° 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des Collectivités locales. Elle est dépassée en droit sénégalais.

Cher étudiant, pour finir, j’aimerais vous dire que si je n’ai pas beaucoup insisté sur l’article 140 dans mon post du 31 août 2018, c’est parce qu’il vise l’article 135 qui pose les conditions de révocation d’un maire, en son premier alinéa. Je ne me suis pas aussi prononcé sur le dernier alinéa de cet article en ce que, pour le cas de la Caisse d’avance de la Mairie de Dakar, il ne peut pas être mobilisé pour révoquer le maire, car parlant d’autre chose. En la matière, c’est inutile de s’en référer.

Il s’agit, comme rappelé ci-dessus, pour nous de répondre à une sollicitation « in box » sur Facebook d’un internaute du nom de Moustapha DIATTA.

Notre conversation date du dimanche passé :

DIM 01:27

Salut professeur quelle analyse faites vous sur l’article 140 du code général des collectivités locales

DIM 3 h 6

Thomas

Lisez mon post

DIM 11:49

Je l’ai lu, mais je vois pas votre analyse de l’article 140

Dr DIATTA Thomas, Juriste

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